Retour sur l’écroulement de la crête des Grangettes

-A A +A
Entre l’automne 2020 et l’été 2021, trois éboulements majeurs sont survenus sur la crête des Grangettes, au-dessus du vallon du Grand Tabuc (Le-Monêtier-les-Bains). Maëva Cathala, doctorante au laboratoire Edytem, y a mené une étude pour comprendre le rôle de la dégradation du permafrost dans les écroulements rocheux en haute montagne. Elle récapitule les résultats de ses travaux dans l’article ci-dessous.

Qu’est-ce que le permafrost et pourquoi les scientifiques s’intéressent-ils particulièrement à la crête des Grangettes ?

17 sept 2020. Éboulement dans le vallon du Grand Tabuc © Cyril Coursier - PNELe permafrost désigne les terrains dont la température reste inférieure à 0°C pendant au moins deux années consécutives. En haute montagne, il joue un rôle dans la stabilité des parois rocheuses. Cependant, sous l’effet du réchauffement climatique, le permafrost tend à se dégrader, fragilisant ces parois et augmentant le risque d’écroulements rocheux. Ces derniers menacent à la fois les populations et les infrastructures situées en contrebas. Ces phénomènes sont de plus en plus étudiés par les scientifiques car comprendre les mécanismes de déclenchement et de propagation de tels évènements permettra, à terme, de mieux les anticiper.

Dans le cadre du PAPROG (Plan d’Action Pour les Risques d’Origine Glaciaires et périglaciaires), l’ONF-RTM et des chercheurs du laboratoire Edytem se sont intéressés de près à la crête des Grangettes, à l’amont du vallon du Tabuc, dans le massif des Écrins. En effet, une série de déstabilisations s’y est produite les 17 septembre, 20 décembre 2020 et 23 juillet 2021. Les mécanismes exacts à l’origine de ces déstabilisations restent à élucider. La crête des Grangettes est donc devenue un terrain d’étude à ciel ouvert pour mieux comprendre les mécanismes qui mènent à la déstabilisation de parois rocheuses en haute montagne. Pour des raisons d’accessibilité au terrain, c’est l’écroulement du 17 septembre 2020, estimé à 35 800 m3, qui a particulièrement été étudié.

Zone d’étude et niche d’arrachement (zone de départ) de l’écroulement rocheux du 17/09/2020 © PGHM, 2021

Zone d’étude et niche d’arrachement (zone de départ) de l’écroulement rocheux du 17/09/2020

Acquisition de données et mesures sur le terrain pour comprendre les mécanismes de déclenchement de l’écroulement rocheux

Installation de capteurs de température dans le versant ouest de la crête des Grangettes © Florence Magnin, 22/09/2021 Pour mieux comprendre les mécanismes de déclenchement de l’écroulement rocheux survenu le 17 septembre 2020 à la crête des Grangettes, une combinaison de plusieurs méthodes a été réalisée. Tout d’abord, des capteurs de température ont été installés dans la roche à 10 cm de profondeur pour mesurer la température du terrain depuis 2022 et pour suivre son évolution dans le temps. En parallèle, des analyses géophysiques ont été réalisées pour visualiser la distribution spatiale du permafrost. Pour cela, la méthode appelée « tomographie de résistivité électrique » a été utilisée, ce qui consiste à injecter un courant électrique dans le terrain afin d’obtenir une image précise des secteurs gelés ou non gelés. Ces observations ont ensuite été complétées par des modélisations numériques du permafrost.

En croisant ces différentes approches, la distribution spatiale du permafrost et son évolution dans le temps ont permis de reconstituer les conditions thermiques dans lesquelles cet écroulement s’est produit.

Un réchauffement des parois : un facteur qui a prédisposé à l’écroulement rocheux

L'analyse des données météorologiques à long terme montre que la chaleur exceptionnelle du printemps 2020, combinée à des températures estivales constamment élevées depuis 2015, ont pu contribuer à la dégradation du permafrost.

À l'échelle locale, les fluctuations de la température de surface du terrain sont analysées grâce à leur suivi continu. Les relevés montrent des températures annuelles moyennes de la surface des parois allant de -0,26°C (versant nord-ouest) à +1,88°C (versant ouest) dans les parois rocheuses autour de la cicatrice, et de -2,85°C à +1,18°C dans les pentes à l’amont de l’écroulement. Ces températures sont favorables à la présence de permafrost en profondeur. Ces observations sont confirmées par les profils géophysiques qui indiquent des valeurs de résistivité élevées (>10 kΩm), correspondant à des matériaux gelés. Ces mesures révèlent donc la présence de permafrost autour de la niche d’arrachement (c’est-à-dire la zone de départ) de l’écroulement rocheux.

Les simulations numériques du permafrost suggèrent, elles aussi, la présence de permafrost à la profondeur de la niche d’arrachement. De plus, ces modélisations du permafrost montrent un réchauffement progressif depuis les années 1990, qui s’accélère nettement depuis 2015 et qui s’approche du point de fusion de la glace. Cette simulation montre aussi que l’écroulement s’est produit dans des températures les plus chaudes modélisées en profondeur.

Ce réchauffement des terrains a pu entraîner des perturbations mécaniques de la glace contenue dans les fractures de la roche, ainsi qu’une perte de cohésion entre les différents volumes rocheux, menant à la déstabilisation de la paroi.

Modélisation de la température dans la niche d’arrachement avant l’écroulement rocheux

Modélisation de la température dans la niche d’arrachement avant l’écroulement rocheux. On peut observer une augmentation progressive de la température depuis les années 1990, qui s’accélère nettement après 2015.

Quelles avancées cette étude a-t-elle permis et quelles perspectives de recherches ouvre-t-elle sur le permafrost en haute montagne ?

L’écroulement de la crête des Grangettes a donc offert aux scientifiques la possibilité d’affiner les connaissances sur les effets du réchauffement climatique en haute montagne, ainsi que d’illustrer le rôle de la dégradation du permafrost dans les instabilités de versants. Toutefois, de nombreux défis restent à relever. Par exemple, un des enjeux majeurs dans les prochaines années sera de mieux comprendre le rôle de la neige, de la glace et des infiltrations d’eau dans les mécanismes de déstabilisation des versants, ainsi que leur réponse aux forçages climatiques.

À terme, ces recherches ont pour but de d’améliorer la compréhension des écroulements rocheux, afin de mieux les anticiper et de réduire les risques qu’ils représentent pour les populations et les infrastructures.

Le laboratoire Edytem tient à remercier l’ONF-RTM, le PGHM, et le Parc national des Écrins pour leur soutien et leur appui logistique lors des missions sur le terrain.

Pour aller plus loin

Regarder le reportage de France 2 Réchauffement climatique : les montagnes à l’étude pour éviter les éboulements