Lacs de montagne : attention, fragile

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Les quelque 200 lacs et plans d’eau permanents recensés dans le massif des Écrins comptent pour beaucoup dans la richesse des paysages et des milieux naturels du parc national. Avec des caractéristiques et des fonctionnements différents, tous partagent cependant un point commun : leur grande sensibilité aux changements environnementaux et aux activités humaines. En ce début de saison estivale, faisons le point sur les dangers qui les menacent et les bonnes pratiques pour les protéger.

Lac de la Muzelle © J.P. Telmon - PNE

Un environnement extrême

Profondeur, superficie, altitude, âge… : autant de caractéristiques que de lacs d’altitude dans les Écrins ! Difficile à priori de comparer le « jeune » lac du Pavé et son environnement minéral de haute montagne avec les lacs de Pétarel et leurs pelouses verdoyantes. Et pourtant, ces deux plans d’eau, comme tous les lacs d’altitude, partagent une particularité. Clotilde Sagot, chargée des mesures physiques au Parc national, explique : « Ils sont tous soumis à des conditions environnementales extrêmes. Enneigés une grande partie de l’année, ce sont des milieux oligotrophes, avec très peu de nutriments comme l’azote ou le phosphore, où les chaînes alimentaires sont simplifiées. Ce sont des milieux sentinelles, car ils réagissent très rapidement à une modification de leur environnement et peuvent donc nous alerter sur un changement en cours. »

Quelques lacs des Écrins © D. Fiat, P. Saulay, B. Nicollet & M. Corail - PNE

Quelques plans d'eau du massif : de gauche à droite, la tourbière de la Muzelle, le lac du Pavé, le lac Labarre et les lacs de Crupillouse.

L’impact de la pression humaine

Certains changements sont déjà tangibles, comme la diminution de la durée de l’enneigement ou la hausse des températures l’été (avec un record l’an dernier). « Dans ce contexte, les pressions d’origine humaine peuvent avoir un impact non négligeable, nous apprend Clotilde. Comme ce sont des milieux sensibles, il n’y pas forcément besoin de beaucoup de dérangement pour commencer à modifier leur fonctionnement. Ils sont par exemple rapidement affectés par des apports accrus en matière organique, en lien avec le pastoralisme, la présence de refuges ou à une forte fréquentation dans leur bassin versant. »

Fréquentation du lac Lauzon © D. Vincent - PNE

Le lac Lauzon en 2022. On voit bien les zones de piétinement (en jaune) et les zones d'eau trouble liées aux baigneurs (en bleu).

Que faire (ou ne pas faire !) et pourquoi ?

Dans ces conditions, voici quelques recommandations à garder en tête lors d’une rando ou d’un bivouac à proximité d’un lac d’altitude.

  • Ne pas piétiner les berges des lacs, en particulier les zones humides. « Dans ces milieux, le sol fonctionne comme une éponge, précise Clotilde. Si on l’écrase, il se tasse et va moins retenir l’eau, ce qui mettra en difficulté la végétation à cet endroit. »
  • Éviter de se baigner, pour 3 raisons principales.Tout d’abord, le dérangement du milieu. « Quand on se baigne dans un lac, explique Clotilde, on remue la vase posée au fond et l’eau devient trouble. Cela peut altérer la capacité des végétaux à faire leur photosynthèse. » Les bords des lacs, où l’eau est moins froide et où l’on peut être tenté de se tremper les pieds, sont aussi des zones refuges, parfois même de reproduction, pour certaines espèces presque invisibles mais bien présentes.
    Autre élément perturbateur : les crèmes solaires dont se sont potentiellement enduits les randonneurs avant la baignade. « On trouve encore des crèmes comportant des filtres solaires ou des conservateurs fortement suspectés de se comporter en perturbateurs endocriniens, nous apprend Clotilde. Ces substances peuvent avoir des effets importants sur les espèces aquatiques. »
    Dernier élément à prendre en compte : la baignade peut s’avérer dangereuse, comme l’explique Clotilde. « On est dans des milieux naturels non surveillés, où on se baigne à ses risques et périls. La qualité de l’eau n’est pas contrôlée et l’eau n’est pas toujours aussi propre que l’on peut imaginer. Des animaux morts peuvent par exemple polluer les torrents en amont ou les lacs eux-mêmes. »

Quelques habitants des plans d'eau de montagne © J. Heuret, P. Saulay, C. Albert & M. Corail - PNE

Quelques habitants des lacs de montagne : de gauche à droite, le triton alpestre, le rubanier, des larves d'éphémères et un fourreau de trichoptères.

  • Lorsque l’on bivouaque, ne pas se laver ou laver sa vaisselle directement dans le lac. « Il a été prouvé que les produits tensioactifs que l’on retrouve souvent dans le liquide vaisselle et les savons sont préjudiciables pour les invertébrés. » Mieux vaut donc utiliser les produits les plus naturels possibles, se laver ou faire sa vaisselle à distance de l’eau à l’aide d’une cuvette souple, et si possible dans une zone de graviers qui constitueront un premier filtre.
  • Lac du Goléon © H. Quellier - PNE Proscrire l’usage du paddle. « Avant de naviguer sur un lac de montagne, la planche a déjà été utilisée sur d’autres eaux, explique Clotilde. Elle est donc potentiellement porteuse de virus, de champignons, ou d’échantillons d’espèces envahissantes qui risquent de contaminer le milieu. »
  • Partager ses photos avec modération. « Les réseaux sociaux sont un puissant vecteur de fréquentation de ces milieux, comme l’a bien montré Natacha de Mahieu l’année dernière. Si l’on tient vraiment à partager ses photos, l’idéal est de supprimer sa localisation avant. » Le but in fine étant de ne pas inciter les visiteurs à se concentrer autour des mêmes lacs, pour assurer un minimum de tranquillité au milieu… et aux autres randonneurs !

Quelques interdictions de baignade

Pour les raisons de sécurité et de protection des milieux évoquées plus haut, de plus en plus de communes choisissent d’interdire la baignade dans les lacs de montagne sur leur territoire. Dans les Écrins, des arrêtés municipaux ont d’ores et déjà été pris par les maires de Mizoën et La Grave : la baignade est désormais interdite dans tous les plans d’eau du plateau d’Emparis (dont les lacs Noir et Lérié).

En savoir plus sur les lacs d'altitude

Écouter l'interview de Clotilde Sagot sur la RAM