Une nouvelle technique plus précise pour cartographier le glacier
Tous les 5 ou 10 ans, les équipes d’INRAE établissent une cartographie du glacier Blanc afin de mesurer ses variations d’épaisseur et son bilan de masse, cumulés sur plusieurs années. Nouveauté en 2019, le recours à l’altimétrie par laser (ou lidar). Le principe est simple : un hélicoptère volant à plus de 5 000 mètres d’altitude réalise plusieurs passages au-dessus du glacier. Depuis l’appareil, 2 opérations sont effectuées :
- une mesure d’altitude, grâce à un faisceau laser qui rebondit sur la surface du glacier et les reliefs environnants. Emmanuel Thibert, ingénieur à INRAE, précise : « Cette technique permet de mesurer la distance par rapport au sol et d’obtenir les coordonnées précises des reliefs. Car ce sont ces reliefs qui servent de repères fixes et qui permettent de comparer l’épaisseur du glacier par rapport aux mesures précédentes ».
- une séquence de clichés aériens du glacier, assemblés par la suite pour obtenir une orthophoto. « Il s’agit d’une image à la verticale du glacier, mise à l’échelle et qui peut se superposer à une carte, explique Emmanuel Thibert. Grâce à elle, on a une vision parfaitement délimitée des bords du glacier ».
La cartographie obtenue via l’altimétrie par laser est donc beaucoup plus fiable que la méthode utilisée auparavant, la photogrammétrie aérienne. « La précision au sol est plus grande, explique Emmanuel Thibert. On a ainsi une précision inférieure au mètre, avec des cartes à l’échelle d’environ 1/5 000, c’est-à-dire 5 fois plus précises que les cartes de randonnée de l’IGN ».
Une perte de surface et d’épaisseur qui s’accélère
La comparaison des nouvelles cartographies avec les précédentes permet d’appréhender les changements de la géométrie du glacier. Les analyses doivent être encore affinées mais elles font déjà ressortir un certain nombre de constats :
- En 5 ans, entre 2014 et 2019, le glacier a perdu une quarantaine d’hectares de superficie, pour passer d’environ 480 à 440 hectares, soit une perte moyenne de 8 hectares par an. La fonte s’est donc accélérée, puisqu’il avait fallu 12 ans (entre 2002 et 2014) pour voir disparaître la même surface (la perte moyenne était alors de 3,3 hectares par an).
- Le recul du front du glacier entre 2014 et 2019 est d’environ 300 mètres, conformément aux relevés annuels directement réalisés sur le terrain par les agents du Parc national. Cela représente un recul moyen de 60 mètres par an.
- La perte d’épaisseur moyenne est de 6,8 mètres de glace sur toute la surface du glacier (- 5 mètres devant le refuge des Écrins, - 12 mètres dans la combe du col de la Roche Faurio, - 45 mètres vers le front). Cela représente 25 millions de mètres cubes d’eau déstockés et un bilan spécifique de - 5,51 mètres d’eau sur la période, soit - 1,1 mètre d’eau par an. Emmanuel Thibert commente : « La perte de masse s’est donc encore accélérée par rapport à la période précédente de 2002 à 2014 lors de laquelle le glacier perdait 0,76 mètre d’eau par an. Ceci indique que le déséquilibre entre cette masse de glace et le climat s’est encore accentué ».
- L’analyse avec des cartes plus anciennes permet de voir que sur un siècle, la perte de masse annuelle a été multipliée par presque 10. Le glacier perdait environ 15 centimètres d’eau par an entre 1904 et 1925, 25 centimètres d’eau par an dans les années 1950-60, et 50 centimètres d’eau dans les années 1980-2000.
- L’altitude du dôme de neige des Écrins est pointée à 4 012 mètres le 18 septembre 2019. Par comparaison, elle avait été mesurée à 4 014,4 mètres sur la carte glaciologique établie en 1981. Emmanuel Thibert nuance : « Une telle variation est à regarder sur le long terme, car le dôme est en fait une corniche de neige, très dépendante du vent et des précipitations. Son altitude et sa forme sont donc déjà très variables à l’échelle saisonnière ». Constat intéressant toutefois : si à l’avenir, la neige disparaissait complètement du dôme, le sommet rocheux qui remplacerait alors le dôme de neige actuel serait toujours au-dessus de 4000 mètres. En effet, des rochers sont aujourd’hui déjà bien visibles à une quinzaine de mètres au pied de la pente sud du dôme et ils affleurent à 4 008 mètres.
Emmanuel Thibert & Mylène Bonnefoy-Demongeot, unité de recherche ETNA (INRAE, Université Grenoble-Alpes)